Le cabaret d'Ulrich C.

Laurent Malot ne laisse pas les planches froides

Ulrich C : une silhouette, une présence, une voix qui porte les textes des poètes du XXème siècle et donne la part belle aux auteurs des années 30 : Jacques Prévert, Maurice Magre, Pierre Mac Orlan ou Jean Tranchant, et à des mélodistes de renom : Kurt Weill, Wal-Berg, Christiane Verger ou Lino Léonardi.

Jean Tranchant, à qui Ulrich C. consacre une grande partie de son cabaret. Injustement oublié de nos jours, Tranchant est un auteur compositeur interprète majeur du début des années 30. Tour à tour chanteur de charme et auteur sombre pour les interprètes féminines de son époque, ses chansons sont autant de bijoux qui vont comme un gant à Ulrich C., et qui interpellent encore le public d’aujourd’hui.

Ulrich C. explore les tréfonds de l’âme humaine, sans nostalgie, dans le décor d’une Europe en ruine aux prémices de la seconde guerre mondiale, et ne revendique rien, sinon la volonté de donner à entendre son histoire à travers les textes et les mélodies de ses auteurs fétiches, et qui dévoile les secrets d’alcôve d’un homme moderne aux prises avec les tourments de sa jeunesse, tourments qui trouvent un écho tout particulier avec les chansons de l’entre-deux guerre.

Energie du désespoir, insomnies, solitude, misère sociale côtoient dans ce cabaret la volonté de son interprète d’échapper à cette douleur par la poésie.

Accompagné au piano par Stan Cramer, qui a signé les arrangements, Ulrich C. redonnera vie  à un monde de beauté peuplé de créatures perdues.

 Ulrich Corvisier est un chanteur élégant, presque trop. Une sorte d'asperge art déco, naturellement élégant comme d'autres naissent poilus, promenant son androgynie toute en longueur avec une fraicheur bonasse (vous l'imaginez snob, il est très gentil garçon, avec un naturel désarmant). Jadis il fut mannequin, puis il voulut chanter. Retrouvez-le à l'Essaïon Théâtre, à Paris, du 8 au 10 janvier. Il y revisite le répertoire de Jean Tranchant.
Vous avez remarqué comment, dans les émissions de télé-réalité chansonnière, on ne parle jamais du choix du répertoire, la chose sans doute la plus capitale pour un chanteur. Ulrich s'est mis en quête, et il est tombé amoureux du répertoire de Jean Tranchant (1904-1972). Jean Tranchant fut le précurseur de Trenet qui a finit par le supplanter. Ancien affichiste décorateur, il a introduit la poésie moderne dans la chanson, s'inspirait plus d'un Paul-Jean Toulet que des surréalistes et Cocteau fut son ami. Tranchant fut le premier, avec Jean Sablon, à engager Django Rheinhardt comme musicien pour l'accompagner, à faire rentrer du jazz dans la chanson.

Le répertoire de Tranchant est hétéroclite: des chansons très dures pour Marianne Oswald (La complainte de Kesoubah) ou pour Lucienne Boyer (Moi j'crache dans l'eau), plus doucereuses pour lui (Il y aura toujours des bergères). Lucienne devait être bien audacieuse pour accepter qu'une chanson comme Les Prénoms effacés ait un départ aussi ahurissant que "Dans le creux béant d'un grand chêne/ Des fourmis rouges font la chaîne/Rongent et creusent font mille efforts/Contre le vieux géant qui dort"...

Critiques
Jean Tranchant, un bi scandaleux
Le répertoire de Tranchant passe de la vitupération pacifique (Appel, que chanta Frehel) à la rengaine absolue (Ta ra zim, C'était une cannibale), sans oublier la pochade Louis XV (Mademoiselle Adeline) et le lavis populiste (Ici l'on pêche que reprit Gréco). J'ai une prédilection particulière pour Les Cailloux de la route, une chanson poétique très mystérieuse, sur laquelle je projette au hasard je ne sais quelle déchirante histoire de jeune homme mort de tuberculose: "Si tu veux vivre au moins cent ans/ Prends la route aux beaux cailloux blancs"... Tranchant se maria, fit des enfants, mais n'en était pas moins un bi scandaleux... et ses réparties lui firent beaucoup d'ennemis. Pendant la guerre, comme Maurice Chevalier, il eut l'égarement d'accepter une émission à Radio Paris dont le chef était un gradé allemand. Aux réprimandes justifiées de la Libération s'ajoutèrent des vengeances personnelles. Tranchant s'exila en Argentine pour ne revenir que dans les années 60, où il ne trouva qu'oubli, tempéré par l'hommage de Brassens.

Avec Ulrich (qui s'est fait aidé de l'érudit Martin Peynet), on est loin des sempiternelles reprises - sans surprise - de Vian, Brassens, Yvette Guilbert, Bobby Lapointe... Ulrich lui-même est un personnage de Cocteau, des trucs bizarres, pas toujours drôles, se passent autour de lui, une fois sa chambre a pris feu, il en est sorti indemne de justesse. Ulrich brave les difficultés de ce répertoire doux-amer, un peu sardonique, un peu cul-cul même, avec une ingénuité troublante...

Ah oui, si vous allez assister à son spectacle, soignez votre garde-robe. Il est si "corpuchic" qu'il peut vous donner l'impression que vous êtes une vieille patate au fond d'un filet.


Hélène Hazera

 

Le terme "cabaret" ne veut plus dire grand' chose tant est longue la liste de ceux qui l'ont galvaudé. Quelques-uns cependant peuvent encore le revendiquer : leur art, leur univers, leur esprit les y autorisent. Ulrich Corvisier est de ceux-là : aplomb et fragilité, ironie et sentimentalité, trouble et mystère... tout est en place - à tel point qu'on se prend à rêver : et si son Cabaret d'Ulrich C., qu'il présentera du 8 au 10 janvier au théâtre Essaïon (Paris IV) et qui fera entendre Jean Tranchant, Maurice Magre etc., s'avérait capable de redonner au mot et à la chose non seulement leur lustre, mais leur goût très spécifique, pour ne pas dire leur âme ?

Didier Dahon, Lalalala.org www.lalalala.org/ulrichcorvisiercabaret.html

 

 

 

  • jeudi, vendredi et samedi à 21h30Tarif Plein : 18€Tarif Réduit* : 12€Abonnement: 5€
  • (* pour les moins de 26 ans, étudiants, plus de 65 ans, habitants du 4ème arrondissement, demandeurs d'emploi, intermittents du spectacle, associations et groupes de 10 personnes minimum, sur présentation d'un justificatif) 
  • Laurent Malot ne laisse pas les planches froides
  • Chant : Ulrich Corvisier
  • Piano : Stan Cramer
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